Et que dire de ces "anesthésistes" de la France et de leurs "hypnotiques" au service des Frères musulmans ?
- mohamedlouizi
- 15 juin
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Par Mohamed LOUIZI
Au lendemain de la déclassification du rapport gouvernemental, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a présenté une série de propositions pour lutter contre l'islamisme, les Frères musulmans et la prolifération des écosystèmes qu’ils alimentent et entretiennent. Ces mesures visent à réorganiser l’administration publique et à refonder des services de l’Etat, notamment le renseignement territorial qui a beaucoup souffert depuis la suppression des RG et son maillage territorial par Nicolas Sarkozy.
L’on ne peut que voir d’un bon œil la volonté du ministre de créer une collaboration interministérielle, coordonnant les actions de Bercy, de la Jeunesse et des Sports et aussi de l’Education Nationale. Créer un parquet administratif, dédié à ce combat nécessaire, pour éclairer juridiquement les choix à faire notamment en matière d’élargissement des motifs de dissolution des associations islamistes nuisibles, paraît une juste mesure d’autant que les oppositions de gauche, dont certaines sont ouvertement de mèche avec les Frères musulmans, sont à l’affût de tout pas de côté pour délégitimer l’action du ministre. Réussira-t-il à convaincre le gouvernement d’une nécessaire révision de la Constitution pour y inscrire "nul ne peut se prévaloir de sa religion, de ses croyances, de ses origines, pour échapper à la règle commune" ? On pourrait l’espérer.
Cela dit, les réactions politiques étaient prévisibles, chacun jouant son rôle. Le Rassemblement National a demandé des actions concrètes et immédiates pour protéger les institutions de la République et le tissu associatif français. Les soutiens du gouvernement ont salué sa publication estimant qu’il est nécessaire de sensibiliser l’opinion publique à ce danger. Les oppositions islamogauchistes ont fait une fixette sur Bruneau Retailleau en l’accusant injustement de vouloir alimenter ladite "islamophobie". Du haut le leur bonne foi, ils oublient simplement un détail : ce n’est pas l’actuel ministre de l’Intérieur qui est à l’origine de ce rapport. Ce n’est pas lui son rédacteur. Initialement, ce rapport a été commandé à la suite d’un Conseil de défense en mai 2024 par Emmanuel Macron et Gérald Darmanin. Il devait être rendu public à l’automne dernier mais sa parution a pris du retard. Peut-être Bruno Retailleau n’a-t-il pas simplement accéléré le calendrier ? Pour cela il conviendrait de saluer sa décision.
Inutile de dire que Médiapart a fait du Médiapart et que les Frères musulmans ont publié des communiqués indignés pour se désolidariser des… Frères musulmans. Ils ne seraient pas les seuls à avoir le secret d’une telle manœuvre subtile. Il y a aussi leurs compagnons de route qui les accompagnent fidèlement depuis plusieurs années voire plusieurs décennies sur le chemin de l’islamisation à marche insidieuse de la France. Ces compagnons des Frères musulmans répètent à l’unisson, usant des mêmes éléments de langage, que le rapport gouvernemental se trompe de cible, que les Frères musulmans ont perdu de leur influence et qu’il conviendrait de s’attaquer plutôt au salafisme et sa version wahhabite…
Je remarque que l’on est passé de "les Frères musulmans n’existent pas" à "les Frères musulmans existent mais ils ne sont plus influents". Cela rassure ! D’une certaine forme de déni du réel, on est passé à une certaine forme d’euphémisme. Deux "hypnotiques" et même effet escompté. Parmi les chantres de ce discours médiatique minimisant à dessein le danger des Frères musulmans, on trouve Franck Frégosi, Bernard Godard, Haoues Seniguer, Vincent Geisser, Pierre Conesa, Hakim el-Karoui… pour ne citer que ces six noms sollicités principalement par des médias de gauche et des relais islamistes et qui agissent tels des cautions morales.
Quand on analyse attentivement l’évolution du discours de ces voix potentiellement influentes et leurs points d’inflexion, l’on est frappé par certaines similitudes et points communs notamment une sorte d’aversion marquée, à juste titre, vis-à-vis du courant wahhabite et vis-à-vis de l’Arabie Saoudite et, curieusement, une modération presque sans limite à l’égard des Frères musulmans et du Qatar.
Ainsi, Franck Frégosi relativise depuis très longtemps l’influence des Frères musulmans, qu’il voit comme intégrés dans le cadre républicain malgré leur conservatisme. En revanche, il accorde une attention croissante au salafisme, comme si un salafiste wahhabite, aux habits bédouins, présentait plus de danger qu’un salafiste frériste BCBG, vêtu d’un costume-cravate trois pièces.
Cela se remarque aussi chez Pierre Conesa qui montre un recentrage progressif sur le salafisme wahhabite comme menace principale, tant dans ses formes quiétistes que djihadistes, en raison de son incompatibilité, dit-il, avec les valeurs républicaines et son lien avec le séparatisme et le terrorisme. On peut dire exactement la même chose de l’idéologie des Frères musulmans mais, passons !
Pierre Conesa, bien qu’il se montre plus ou moins critique à l’endroit du conservatisme frériste et leur influence via des organisations comme "Musulmans de France" (ex-UOIF), il les relègue tout de même à un rôle secondaire dans ses analyses, en les percevant comme moins violents et plus intégrés dans les dynamiques politiques... Peut-être était-ce pour cette raison que Pierre Conesa a accepté l’invitation des Frères musulmans à leur Congrès annuel en 2018 au Bourget, en partageant la table du débat avec un certain Nabil Ennasri qui demeure poursuivi pour "corruption et trafic d’influence, abus de confiance et blanchiment de fraude fiscale aggravée" au service du Qatar ?
Notons au passage un autre fait : l’essai Fabrication de l'ennemi : ou comment tuer avec sa conscience pour soi, de Pierre Conesa, paru en France en 2011, a été traduit en arabe et diffusé par l’outil d’influence qatari à Paris, le CAREP (Centre Arabe de Recherches et d’Études Politiques). Ce même CAREP-Paris est impliqué selon un article de Marianne dans la prolifération des candidats communautaristes lors des municipales de 2020. Ici, sur ce site, en marge de la signature d’un partenariat entre le CAREP et SciencesPo Paris, j’ai décrypté quelques volets de cette stratégie d’influence et d’entrisme. Pierre Conesa ne devrait pas négliger ces données qui peuvent expliquer sa position pas si ambigüe que ça...
Je peux dire autant de la position problématique et frérophile de Bernard Godard au point de considérer cet ancien "Monsieur islam" du ministère de l’Intérieur comme une partie du problème et non de la solution. C’est durant ses fonctions au Bureau des cultes que les Frères musulmans de l’UOIF, entre autres, ont pu bénéficier d’une indulgence coupable de la part de l'Etat. A force de militer pour focaliser les projecteurs de l’Etat presque exclusivement sur les wahhabites, il a permis aux Frères musulmans de se frayer des chemins au cœur des institutions de l’Etat. Il ferait mieux de faire son mea culpa et de profiter paisiblement de sa retraite.
Quant à Haoues Seniguer et Vincent Geisser, depuis très longtemps, ces deux "chercheurs" ont perdu la boussole. Leur aiguille est toujours pointée en direction du "pas-d’amalgame" et de "l’islamophobie", utilisés comme éléments de langage pour empêcher toute critique du projet politique frérosalafiste. En ce sens, ils sont les dignes héritiers d’un François Burgat déclinant.
Par ailleurs, dans le sillage des réactions citées au-dessus, l’évolution de la position d’Hakim el-Karoui reflète un passage d’une analyse théorique des dynamiques de l’islamisme à une stratégie pratique pour contrer le salafisme wahhabite saoudien et en faire une fixette, même si l’Arabie Saoudite, contrairement au Qatar, fait des efforts pour se désalafiser et se déwahhabiser. Il considère toujours le salafisme comme la menace la plus immédiate en France. En revanche, il adopte une approche plus que nuancée pour ne pas dire admirative vis-à-vis des Frères musulmans, voyant en certains de leurs soi-disant "anciens membres" ou présentés ainsi des alliés potentiels pour promouvoir un "islam modéré". Ça promet !
Cette position, qui paraît pragmatique à première vue, est de nature à faire croire que les Frères musulmans peuvent être "la" solution alors qu’ils sont, en vérité, le nœud du problème. Je sais que l’arsenic, qui est un poison, peut être utilisé comme remède à de très faible dose pour le soin de certains cancers. Je sais aussi que l’idéologie des Frères musulmans est un poison. Même à faible dose, elle n’en demeure pas moins mortifère. Mettre un peu de Frères musulmans dans n’importe quelle recette la rendra toxique sans l’ombre d’un doute.
S’agissant maintenant de sa tribune euphémiste et un poil agacée, publiée sur le site de L’Opinion et intitulée "islam : où veut-il en venir ?", elle ne fait que répéter deux grandes approximations pour ne pas dire deux grandes manipulations. La première minimise les chiffres publiés par le rapport gouvernemental, comme pour induire le lecteur dans l’erreur d’appréciation du danger réel que représentent les Frères musulmans. Il est vrai que les statistiques dévoilées par le rapport gouvernemental peuvent apparaître, pour le commun du mortel non-initié, marginales et presque insignifiantes : 400 à 1000 frères musulmans ; 139 lieux de culte sur 2800... Certains seraient tentés de conclure hâtivement, tout ça pour ça ?
Cependant, tout spécialiste qui se respecte et qui respecte l’intelligence de ses lecteurs ne doit en aucun cas omettre de rajouter des précisions à ces chiffres. La première précision c’est que le nombre des Frères "Musulmans de France" (ex-UOIF) n’a jamais dépassé 1000 personnes même lorsqu’ils étaient à l’apogée de leur prosélytisme et qu’ils rassemblaient plusieurs dizaines de milliers à leur congrès annuel au Bourget. Quand j’ai quitté les Frères musulmans en 2006, leur nombre ne dépassait pas les 600 membres actifs, et pourtant, ils rassemblaient au Congres du Bourget plus de 100.000 personnes.
Quand on parle aujourd’hui de 1000 personnes, il faut préciser que l’on parle des cadres de Frères musulmans et des Sœurs musulmanes qui ont prêté allégeance à la mouvance des Frères musulmans et qui travaillent dans un réseau ultra-structuré dopé par des moyens financiers inestimables. On parle des membres actifs, du noyau dur de la nébuleuse. Chaque membre actif étant appelé à créer et à noyauter jusqu’à plusieurs associations en même temps, entraînant dans sa voie et endoctrinant plusieurs dizaines de sympathisants permanents ou de soutiens occasionnels.
Quand j’étais président d’EMF-Lille, nous étions seulement 3 ou 4 frères musulmans occupant des postes clefs. Toutefois, à travers nos activités au campus, nous touchions des milliers d’étudiants musulmans qui votaient pour nos listes aux élections. C’est grâce à ce vote musulman que j’ai siégé par deux fois au conseil d’administration du CROUS de Lille au début des années 2000. A l’époque, l’UNEF nous faisait la guerre. Nous étions pointés du doigt. Aujourd’hui, l’UNEF s’est convertie à l’islamo-gauchisme. L’EMF a étendu alors son influence et peut se réjouir de tout le chemin parcouru...
Quant aux 139 lieux de culte sur 2800, Hakim el-Karoui ne précise pas que ces 139 structures ne sont pas de simples salles de prière mais de vrais centres islamiques influents et imposants, reliés les uns aux autres par un programme et une structure à échelle nationale voire européenne. A la différence d’une simple salle de prière, si un centre islamique contient lui aussi une grande salle de prière pour les hommes et une autre pour les femmes, sa structure abrite une école coranique, des classes pour l’apprentissage de la langue arabe, un institut religieux, des salles de réunions à la disposition de la panoplie d’associations (jeunes, étudiants, femmes, sport, soutien scolaire…) rattachées à ce centre, une bibliothèque islamique, un centre informatique, une crèche, une salle de fête et de mariage, un ou plusieurs commerces halal, une ou plusieurs SCI… Dans certains cas, on a même pensé à doter un centre islamique d’une… piscine ! N’oublions pas que le lycée Averroès, depuis sa création en 2003 jusqu’en 2012, a été abrité au sein de la mosquée de Lille-Sud. Je laisse le lecteur imaginer l’impact réel de telles structures, de telles "mosquées-cathédrales" vantées par Amar Lasfar, l’ex-président de l’ex-UOIF.
Peut-on sérieusement minimiser l’impact de ces structures sur toutes les catégories d’âge de la composante musulmane de la société française ? Les autres salles de prière, petites ou moyennes, ne peuvent rivaliser face à une telle déferlante idéologique. Souvent, ces petites salles non inféodées aux Frères musulmans se trouvent dans le besoin de collecter l’argent pour s’acquitter de certaines factures, ou remplacer les tapis usés, ou effectuer des travaux de rénovation. Elles se tournent parfois vers le réseau des mosquées fréristes qui n’acceptent de leur accorder de l’aide que sous certaines conditions, y compris idéologiques : permettre aux prédicateurs fréristes d’animer des conférences ou des prêches au sein de ces salles, soutenir les fréristes lors des élections du CRCM / CFCM... Toute salle de prière non frériste qui refusait ces conditions se voyait refuser le créneau de collecte d’argent.
Lorsqu’en 2023, j’ai dit que "plus de 70% des mosquées françaises ont été infiltrées par les salafistes et plus nous attendons, plus la réaction sera douloureuse", je mettais les Frères musulmans aussi sous le déterminant salafiste, contrairement à Hakim el-Karoui, et je faisais allusion à ces jeux de pouvoir et de domination qu’exercent les mosquées frérosalafistes sur les autres salles de prière qui se protègent tant bien que mal contre ces mouvements.
Aussi, il y a un autre élément que ne prend pas en compte Hakim el-Karoui : à ces 139 mosquées 100% fréristes, il conviendrait de rajouter les plus de 150 mosquées turques, sous l’autorité religieuse directe et le financement du gouvernement islamiste d’Erdogan qui protègent les Frères musulmans. Il conviendrait de rajouter les 120 mosquées algériennes, regroupées en réseau influent sous l’autorité de la GMP (ladite Grande mosquée de Paris) – la seconde ambassade algérienne à Paris – dont le discours islamiste n’a strictement rien à envier à celui des Frères musulmans.
Je tiens à rappeler qu’à la date très symbolique du 7 octobre 2023, son recteur Chems-eddine Hafiz a créé à Paris une fédération agissant dans toute l’Europe. Il s’agit de l’association AMMALE (Alliance des Mosquées, Associations et Leaders Musulmans en Europe) qui dit "souhaiter démontrer l’esprit solidaire des musulmans d’Europe, qui ont en héritage l’islam véritable du juste milieu".
Oui, il s’agit bien de ce mot-valise et de ce concept-marketing développé et commercialisé par le Frères musulmans et par la littérature islamiste de Youssef al-Qaradawi : "l’islam du juste milieu". En vérité, le bassin versant du fleuve frériste en France, ce fleuve qui menace de se transformer en déluge, n’est pas composé uniquement des 139 mosquées estampillées Frères musulmans. Plusieurs ruisseaux islamistes, turques, algériens, marocains, tunisiens, syriens, tchéchènes… se déversent dans plusieurs rivières qui se jettent dans le grand fleuve de l’islamisation de la société. On voit bien que les petites salles de prière ne peuvent rivaliser en termes d’influence avec les grands centres.
Cela dit, la deuxième manipulation que Hakim el-Karoui opère habilement (et les autres aussi), c’est de faire croire que les Frères musulmans seraient "vieillissants", en perte de vitesse, et qu’il y aurait une sorte de rupture, et non un continuum, entre eux, entre leur discours et structures d’influences, d’un côté, et tous ces influenceurs 2.0, tous "ces YouTubeurs et TikTokeurs", de l’autre côté.
Indéniablement, ces derniers propagent plus efficacement le discours et les standards islamistes à un large public. Cependant, j’invite à lire ce que Chakib Benmakhlouf, alors président des Frères musulmans en Europe (FOIE / CME), a dit en 2008, je le cite : "Ce qui nous manque ce ne sont pas les médecins ou les ingénieurs, mais bel et bien des spécialistes des médias, tant sur le plan artistique que juridique. Un artiste qui chante dans la langue des Européens et qui appelle à des valeurs morales élevées – à l’image de Yusuf Islam [Cat Stevens, ndlr] et d’autres – a un impact plus profond sur les esprits des gens. Ces personnalités sont considérées comme les prédicateurs de notre époque." Oui, en 2008, il parlait déjà des "prédicateurs de notre époque".
Ainsi, ces Frères musulmans, désormais "vieillissants", ont déjà prévu le coup d’après. Ils savent, de par l’expérience cumulée sous d’autres cieux, notamment dans les pays arabes, que la voie d’un artiste, d’une actrice voilée, d’un footballeur converti ou d’une star de la téléréalité… est plus impactante sur l’esprit d’un jeune en quête d’identité et de spiritualité, que celle d’un imam venu du bled et aux habits traditionnels.
Toutefois, les deux types de prédicateurs sont complémentaires bien que les deux ne touchent pas les mêmes publics, les mêmes cibles. Aucune rupture n’est donc à imaginer entre les deux sphères. Au lieu de rupture, il faut plutôt parler de complémentarité ingénieuse :
Les réseaux sociaux ont besoin des imams frérosalafistes pour construire, traduire, produire, argumenter et adapter le discours.
Les imams frérosalafistes ventriloques ont besoin des réseaux sociaux et de ces "prédicateurs de notre époque", ces influenceurs 2.0, pour investir la toile et l’espace numérique.
Est-ce une nouveauté ou une particularité de notre époque ? La réponse est non.
En cela, Chakib Benmakhlouf n’a strictement rien inventé. Dans les années 80 et 90 en Egypte, au Liban et en Syrie, les nouveaux "prédicateurs de l’époque" étaient des acteurs et des actrices de cinéma et de la chanson orientale. Le cinéma égyptien, par exemple, était à son apogée et occupait les télévisions arabes. La mouvance frérosalafiste et ses prédicateurs, voulant islamiser l’art et considérant le cinéma comme un péché, ont poussé par un discours virulent, violent et culpabilisateur plusieurs actrices à se voiler. Elle reprochait à ces actrices d’infuser dans la société la nudité, la turpitude et d’y répandre la corruption des mœurs.
Souvent, les artistes et les actrices qui n’étaient pas préparés intellectuellement à faire face et à répondre à de tels attaques, succombaient à la pression islamiste. Elles se retiraient du monde du cinéma et, parfois, rejoignaient celui de la prédication. A chaque voilement, à chaque "repentir" d’une actrice, la presse et les médias islamistes en faisaient les gros titres. Les actrices "pénitentes" étaient érigées en exemples à suivre. Souvenirs d’adolescent...
Si l’on rajoute à cela le versant hard, violent, sanguinaire de l’islamisation de l’art par les fatwas d’excommunication, les couteaux et les armes à feu... La pression sur le monde de la création artistique ne pouvait être que maximale. Le livre arabe L’art illicite, une histoire du conflit entre les salafistes et les créateurs (الفن الحرام.. تاريخ الاشتباك بين السلفيين والمبدعين), paru en 2012, de son auteur Ayman al-Hakeem, documente ce versant par des exemples concrets d’artistes, de chanteurs, de poètes et d’actrices qui ont subi les intimidations des islamistes. On se souvient du grand romancier égyptien Naguib Mahfouz, poignardé en 1994 par un islamiste...
Toujours en 1994, à Oran en Algérie, Cheb Hasni, le rossignol du Raï-love, fut assassiné par un jihadiste de la GIA. Son « crime » ? Chanter l’amour. En Irak, en 2004, la danseuse Hannadi a été assassinée après avoir participé au clip de la chanson « al-Bourtouqala » (l’orange). Une fatwa avait appelé à tuer tous les personnages de ce clip. Des islamistes lui ont reproché sa façon de se déhancher…
A côté de ce versant hard, l’islamisme déployait sa stratégie de soft-islamisation de la société à travers l’art et les artistes. Le discours islamiste et ses revendications cherchaient à se normaliser, à se crédibiliser, à se déstigmatiser en investissant l’univers des stars du cinéma et de la télé. Au moins deux livres en arabe témoignent de cette période sombre. Le premier est Artistes pénitentes (فنانات تائبات), paru en 1990, de son auteur l’Egyptien Emad Nassef. Il s’agit du premier livre qui a abordé le phénomène du voilement des artistes et a publié des entretiens avec les actrices voilées : Chams El Baroudi, Hanaa Tharwat, Hala Al-Safi, Nasreen, Soheir Ramzi, Yasmine Al-Khayyam, Maha Sabry, Madiha Kamel et d'autres…
Le second livre est L'art, la réalité et l'espoir - Histoires de repentir des artistes femmes et hommes (الفن الواقع والمأمول قصص توبة الفنانات والفنانين) de son auteur le Saoudien Khaled al-Jeraisy, paru en 2008. Le phénomène était devenu tellement viral à l’époque que, en 1998, les autorités égyptiennes avaient considéré la diffusion des "cassettes-vidéos relatant la vie des «artistes repenties» qui se sont voilées et ont cessé toute activité artistique" comme "atteinte aux intérêts de l’Etat". Ces cassettes-vidéos étaient, en quelques sortes, l’équivalent des séquences et shorts YouTube de notre époque.
C’est la même partition qui se joue sous nos yeux aujourd’hui en France. L’islamisme modernise ses outils. Ce sont presque les mêmes mécanismes et les mêmes images recherchées par les islamistes pour être diffusées le plus largement possible. Les écosystèmes physiques, ces mosquées, trouvent leur prolongement dans des écosystèmes numériques en ligne : les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de rupture mais de continuum. YouTube devient l’antichambre des mosquées, la salle d’attente.
Le poids de l’image de l’index pointé vers le ciel d’un Karim Benzema, ou le hijab de Diams, ou le voile islamique porté par Sifan Hassan sur le podium, lors de la cérémonie des médailles des JO 2024 à Paris, sont autant d’images recherchées par les frérosalafistes, quand leurs agences de communication ne les ont pas initiées ou achetées au prix fort. Evidemment, la jeunesse ciblée par ces images finit par s’y identifier.
Quand Hakim el-Karoui voit un "vieillissement" de la confrérie et une perte de vitesse, j’y vois plutôt le risque d’un rajeunissement et d’une accélération du processus d’islamisation par le bas grâce aux nouvelles technologies. Il ne s’agirait pas, dans certains cas, d’une islamisation ancrée mais plutôt d’une mode sans lendemain, d’une islamisation jetable, d’une islamisation en mode zapping, à condition toutefois que le candidat ou la candidate ne tombe pas dans le filet classique de l’endoctrinement frérosalafiste.
Et quand bien même il y aurait "vieillissement", comme le prétend Hakim el-Karoui et tous les autres "spécialistes", les Frères musulmans ont déjà anticipé et théorisé cette phase. Dans mon essai autobiographique, pages 322 et 323, j’ai consacré à ce sujet un paragraphe intitulé "Théorie des phases appliquée à l’évolution des Frères musulmans", accompagné de deux graphiques pour illustrer le propos. Je n’ai fait que résumer la pensée du frère musulman marocain, l’ingénieur Mohamed al-Hamdaoui, développé dans son livre en arabe La mission dans l’action islamique, comprendre et défendre (الرسالية في العمل الإسلامي، استيعاب ومدافعة), paru en 2008. L’auteur était président de la branche marocaine des Frères musulmans, le MUR. Après avoir expliqué que ladite "Théorie des phases" (نظرية الأطوار) peut être observée dans la nature, le cycle du papillon, comme dans le cycle de vie des civilisations, il a expliqué ensuite que l’histoire des Frères Musulmans suit cette même théorie.

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