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Lycée Averroès : «L’éthique musulmane» dans un nid de vipères...


Analyse du programme islamiste du collège-lycée Averroès


Par : Mohamed Louizi

Le créneau «éthique musulmane» est l’un des instants «éducatifs» les plus importants au sein du collège-lycée Averroès à Lille-Sud : établissement scolaire privé, géré et dirigé par des Frères musulmans. En 2015, après les attentats de Charlie Hebdo et suite à l’éclatement médiatique (puis judiciaire) de l’affaire qui opposa cet établissement au professeur de philosophie Soufiane Zitouni, l’Académie de Lille avait diligenté une inspection le 11 février 2015. Un rapport[1] fut remis aux autorités rectorales deux jours plus tard.

Le communiqué du Rectorat de Lille jugeait que «les termes du contrat de l’établissement avec l’État sont globalement respectés»[2]. Il précisait qu’«il convient néanmoins, sur certains points, de clarifier le statut et la place du religieux dans l’établissement»[3] ainsi que de «lever les ambiguïtés entre l’enseignement de la philosophie et le cours optionnel d’éthique religieuse»[4]. Le présent texte analyse conjointement (et partiellement) le contenu du programme «éthique musulmane», en vigueur.

Les rédacteurs du programme précisent ses quatre principaux buts, à savoir, je cite : «Donner à l’élève les moyens de se réaliser spirituellement et de vivre sa foi en harmonie avec le monde qui l’entoure» ; «Fixer les bases élémentaires de la religion dans l’esprit de l’apprenant» ; «Offrir à l’élève un espace d’interrogations et de débats autour de diverses questions liées à la foi de manière générale» et «Imprégner l’élève, tout au long de son parcours scolaire, d’enseignements fondamentaux pour une pratique harmonieuse de sa religion».

Les cibles de ce programme sont des collégiens et lycéens scolarisés au sein de cet établissement. Âgés de 10 à 18 ans, pré-adolescents et adolescents, filles et garçons, ils suivent trois cycles de formation successifs : Cycle 1 (classes de 6ème et 5ème) ; Cycle 2 (classes de 4ème et 3ème) et Cycle 3 (classes de 2nde, 1ère et Terminale). Ainsi, du début du Cycle 1 (classe de 6ème) à la fin du Cycle 3 (classe de Terminale), les élèves assistent à une heure et demie de cours d’« éthique musulmane » par semaine, soit un total de 54 heures par année scolaire (36 semaines de cours par an), soit 378 heures durant les sept années du parcours scolaire, collège et lycée confondus. Si on rajoute à cela le temps du serment et de la prière de vendredi, presque 1 heure par semaine, observé au sein de cet établissement, ce total grimpe à 630 heures de formation «religieuse», directe et indirecte, formelle et informelle.

À cela, il conviendrait d’ajouter, pour la plupart des élèves de confession musulmane, c’est-à-dire l’écrasante majorité inscrite dans cet établissement, le temps parascolaire d’apprentissage du Coran et de la langue arabe (à base de supports religieux, versets et hadiths) les samedis et les dimanches au sein de l’école coranique annexée à la mosquée de Lille-Sud, ou à la mosquée de Villeneuve d’Ascq entre autres, à raison de 4 heures par semaine, y compris pendant les vacances scolaires : soit un total de 176 heures par an, 1232 heures de la 6ème à la Terminale. En additionnant ces deux totaux , les 630 heures (scolaires) et les 1232 heures (parascolaires), on atteint une somme pléthorique de 1862 heures cumulées en sept ans qui ne suffit certes pas pour former des «imams» mais qui est suffisante pour inculquer à ces jeunes les fondamentaux et les bases d’une certaine lecture identitaire et politique de l’islam. Les rédacteurs précisent, par ailleurs, que les cours de «l’éthique musulmane» sont «complétés par des activités liées aux évènements du calendrier musulman tels que l’hégire, les fêtes, mais aussi par des sorties, voyages pédagogiques dans le souci d’une ouverture sur les autres religions et lieux de culte». Inquiétante inflation de l’islam dans la vie des élèves.

Pour atteindre les buts susmentionnés, les dirigeants de cet établissement varient les outils, les moyens, les supports, les séquences et les points d’entrée, permettant de toucher la sensibilité des élèves, afin de les amener, de les entraîner progressivement, vers l’acquisition certaine des bases fondamentales de l’islam tel que les frérosalafistes le conçoivent, l’interprètent et le prêchent. Ces dirigeants proposent aux élèves un condensé sunnite, autant sur son orthodoxie que sur son orthopraxie – j’y reviendrai – axé en même temps sur le dogme, la pratique cultuelle, la morale et ses règles, la connaissance du Coran, l’apprentissage des hadiths, la biographie de certains «prophètes», dont le choix n’est point le fruit du hasard, la biographie de Mahomet, j’y reviendrai, la biographie de ses proches compagnons, en particulier les deux premiers califes, la biographie de leurs successeurs et celle des successeurs de leurs successeurs.

En somme, un programme résolument fidèle à une grille salafiste considérant que l’âge d’or de l’islam est incarné par trois générations, par trois groupes qui se sont succédés après la mort de Mahomet. Ces trois groupes forment, dans l’esprit et les écrits du salafisme, le fameux concept al-Salaf al-Ṣāliḥ : les prétendus «pieux prédécesseurs» qui incarneraient le vrai, l’authentique islam que les islamistes veulent réinstaurer et réhabiliter à l’identique maintenant, ici et ailleurs.

La première génération est celle des compagnons : les Sahãba. Le programme du collège-lycée Averroès choisit parmi eux les deux premiers califes : Abu Bakr As-Siddiq (573-634) et Umar ibn al-Khattâb (584-644). Le premier a créé le premier Etat Islamique de l’Histoire et a institutionalisé le viol sanguinaire de la liberté de conscience, en menant la guerre contre l’apostasie[5]. Le second est connu pour avoir accéléré les conquêtes islamistes au-delà de l’Arabie, en Irak, en Syrie, en Iran, en Egypte, etc.

La deuxième génération est celle des successeurs des compagnons : les Tabi’îne. Le programme du collège-lycée Averroès choisit parmi eux Abu Muslim Al-Khawlani (mort en 684) et Saïd ibn Jubayr (665-714), alias Saïd ibn al Mussayib. A ce dernier, feu Youssef al-Qaradawi, le sulfureux guide des Frères musulmans, a consacré en 1986 un ouvrage d’hommage en arabe, une pièce théâtrale intitulée Un savant et un tyran, très connue, très partagée au sein des milieux islamistes. Cette pièce est traduite en anglais sous le titre : The Scholar and The Tyrant[6]

Quant à la troisième génération, elle est celle des successeurs des Tabi’îne. C’est cette génération, en particulier, qui, presque deux siècles après la mort de Mahomet, a couché par écrit ses hadiths, paroles qui lui sont attribuées en plus du Coran. Elle les a rassemblés dans des recueils supposés être authentiques comme celui d’al-Bukhari (810-870). Les élèves du lycée Averroès ont tout le loisir de s’y familiariser en les apprenant par cœur et en étudiant les fameux 40 hadiths d’an-Nawawî et leurs commentaires. J’y reviendrai.

Toutefois, vouloir rattacher le jeune élève du collège-lycée Averroès à la tradition islamique ancestrale passe aussi par l’évocation d’autres symboles religieux, antérieurs même à l’avènement de Mahomet : notamment ceux des «prophètes» et des «messagers», reconnus comme tels par les sources scripturaires de l’islam. S’agissant aussi de cette filiation théologique et spirituelle, le choix n’est guère anodin. En effet, des sources islamiques dénombrent 124000 «prophètes» et 313 «messagers d’Allah». Le Coran en cite 18. Toutefois, le programme du collège-lycée Averroès s’intéresse plus particulièrement à 8 d’entre eux en plus de Mahomet. Je fais remarquer, au passage, que les rédacteurs adoptent l’appellation française et biblique de certains «prophètes» et, pour d’autres, l’appellation arabe coranique.

Ainsi Adam (Ãdam en arabe), Noé (Nuh en arabe), Moïse (Moussa en arabe), Jésus (Issa en arabe) sont nommés en français. En revanche, Ibrahim (Abraham en français), Souleymane (Salomon en français), Ayûb (Job en français), Yusuf (Joseph en français) et Mohamed (Mahomet en français) sont nommés suivant des vocables arabes et coraniques. Difficile de saisir le sens exact de cette incohérence sauf, peut-être, dans le cas de Mahomet où l’on sait pertinemment que l’adoption délibérée de l’appellation arabe s’inscrit dans une démarcation linguistique assumée. Pour les islamistes, la dénomination «Mohamed» ou «Mohammed», pour parler du «prophète» de l’islam, ne doit pas être abandonnée au profit de celle de Mahomet qui serait, selon eux, une qualification dépréciative et péjorative. Quelle qu’en soit la raison, à supposer qu’il y en ait une, et mis à part les principaux «prophètes» des trois religions monothéistes, Moïse, Jésus et Mahomet, se revendiquant tous les trois de l’héritage d’Abraham, le choix des 5 autres, Adam, Noé, Salomon, Joseph et Job sert, chacun dans un registre particulier, un aspect de l’idéologie des Frères musulmans.

Adam est considéré comme étant le premier humain et le père de l’Humanité en dépit de ce que dit la Science. La vision créationniste et son récit, notamment des versets et des hadiths, reprenant largement la vision biblique, ses symboles et ses métaphores, utilisent Adam et l’histoire de sa «création» pour remettre en cause et réfuter vigoureusement la théorie évolutionniste darwinienne. L’Eglise catholique quant à elle, adoptant une herméneutique savante, n’est plus opposée à la théorie de l’évolution. En 1996, le Pape Jean-Paul II écrivait déjà : «Aujourd’hui, près d’un demi-siècle après la parution de l’Encyclique, de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse.»[7] L’islam des Frères musulmans n’est pas sur cette ligne. Le symbole de Noé est utilisé dans les milieux islamistes pour montrer que le chemin de la prédication est long, endurant : Noé, selon la tradition, aurait passé 950 ans à prêcher «la bonne parole» parmi son peuple sans baisser le bras. Salomon, le «prophète-roi», fils de David, représente dans l’imaginaire collectif des Frères musulmans ce pour quoi ils militent et combattent. Le pouvoir au service de la prophétie. Le temporel au service du religieux. Le parlement au service de la mosquée. Le juge au service de la charia…

Dans le même sillage, ils abordent l’histoire de Joseph qui après des tumultes et de la prison, est parvenu à atteindre le pouvoir politique à côté du roi d’Egypte. Joseph est aussi cité en exemple pour museler la sexualité des jeunes et prôner la chasteté et l’abstinence. Enfin, Job sert de modèle pour ancrer dans les têtes l’idée victimaire selon laquelle tout «musulman» sincère serait sujet à l’affliction, aux épreuves et aux persécutions de toutes sortes. La victimisation qui en résulte et qui cherche tout prétexte pour crier à «l’islamophobie», étant un standard frérosalafiste jouissant d’une bibliographie exubérante, surtout en langue arabe, est la deuxième jambe de l’islamisme à côté de la dissimulation, la Taqiyya.

En mettant côte à côte tous ces bouts et fragments du programme d’«éthique musulmane» du collège-lycée Averroès, on peut reconstituer un nuage de mots-clés et un puzzle de représentations mentales, associées chacune à un symbole passé, qui agissent (et agiront), consciemment et inconsciemment, sur la compréhension et la pratique de l’islam par ces élèves d’aujourd’hui : ces cadres de demain. Forcément, suivant cette grille prosélyte, l’islam est et sera associé dans leur imaginaire militant au refus de la modernité au motif que le progrès serait un passé salafiste à reproduire à l’identique ; au refus de la démocratie au motif que seule compte la loi d’Allah, protégée par un Etat Islamique puissant; au refus de la Science au motif que l’évolution serait synonyme de mécréance ; au refus des libertés individuelles au motif que l’islam est d’abord une soumission à la volonté divine.

Par ailleurs, pour fixer dans les têtes et les esprits des élèves les standards de leur lecture théologico-politique de l’islam, les dirigeants du collège-lycée Averroès ne comptent ni sur les seuls contes historiques relatifs aux «prophètes» précités, choisis soigneusement parmi des dizaines de milliers d’autres, ni sur la seule biographie de Mahomet, mettant en exergue des moments fondateurs des mythes islamistes tels que le récit de la «révélation coranique», le «voyage nocturne» (et surtout son instrumentalisation dans le cadre du conflit israélo-palestinien[8]) et le «pacte de Médine» (considéré par les islamistes comme la première constitution de l’Etat islamique). Ils ne comptent pas aussi sur le seul narratif fantasmé à dessein, magnifiant les histoires des trois générations des Salafs. Pour ce faire, leur programme d’«éthique musulmane» insiste d’un côté, sur l’apprentissage du Coran et de son exégèse et, de l’autre côté, sur l’apprentissage des hadiths et de ses explications.

Ce programme, disent-ils, vise à «sensibiliser l’élève à une approche plus intime du Coran» afin de mettre en évidence, définitivement, son supposé «caractère intemporel» qui prétend que les versets coraniques ne sont soumis à aucune péremption ni date d’expiration et qu’ils sont valables partout, tout le temps, jusqu’à la fin des temps. Cela concerne l’ensemble des 6236 versets (6349 en comptant la Basmalah, le premier verset non numéroté de chaque sourate), y compris ceux concernant les règles et sanctions de la charia, le jihad armé, l’esclavage, la condition des femmes, la condition des Juifs et des Chrétiens… Cette intemporalité revendiquée ne se limite pas aux versets coraniques stricto sensu mais couvre aussi les textes de la tradition mahométane, notamment les hadiths. Les Frères d’Amar Lasfar, président de l’association Averroès, tient à le préciser. «Le Coran étant indissociable de la tradition du prophète» rappellent-ils. Tout un programme…

S’agissant du Coran, l’intérêt porte sur la sourate al-Fâtiha («Une sourate qui signe un pacte avec Allah»[9]), le verset du Trône (faisant l’éloge de l’unicité d’Allah vs la trinité chrétienne et interprété, par les fréristes, comme un acte fondateur de la Hakimmiyyah. Ce concept radical et jihadiste développé par Sayyid Qutb[10]), la sourate de Yusuf , Joseph, ou l’allégorie de l’abstinence au nom de la foi qui mène au pouvoir politique suprême, et les 37 dernières sourates du chapitre ‘Amma dont la fameuse sourate Al-Asr, l’Instant : une sourate que les islamistes répètent, tel un leitmotiv, une antienne, un refrain, à la clôture de toutes leurs activités. «Au nom de Dieu, Celui qui fait miséricorde, le Très Miséricordieux. Par le temps, certes, l’Homme est en perdition. A l’exception de ceux qui croient, de ceux qui accomplissent des œuvres de bien, de ceux qui s’encouragent mutuellement à la vérité, de ceux qui s’encouragent mutuellement à la patience, à la persévérance» comme l’a traduit le frère musulman Tariq Ramadan dont la traduction du chapitre ‘Amma et du verset du Trône sont contenus dans un petit livret, édité par les éditions Tawhid en 2003, destiné aux jeunes. Ce livret était en vigueur au sein du collège-lycée Averroès au moment de sa création. L’est-il toujours ? Mon petit doigt répond par l’affirmative.

Quant aux hadiths attribués à Mahomet, le programme du Cycle 3 (Lycée) affiche le visuel d’un autre petit livret, lui aussi paru aux éditions Tawhid, intitulé 40 Hadiths Nawawî. Il contient en réalité 42 hadiths au total. Dès la classe de 2nde, les élèves du lycée Averroès sont appelés à étudier ces hadiths «à travers le commentaire d’al-Wâfî», comme le précisent les rédacteurs qui ajoutent aussi que «ceci permettra à l’élève non seulement d’avoir une synthèse claire de l’islam mais aussi d’approfondir certains aspects fondamentaux de la religion.» Cela a le mérite d’être clair et de ne souffrir d’aucune équivoque. Que dire donc de ce livret ?

Il faut savoir qu’il est traduit de l’arabe et commenté par un certain Mostafa Suhayl Brahami, un islamiste algérien établi à Lausanne en Suisse depuis plus de vingt ans après avoir fui la guerre civile algérienne qu’il a semée avec ses frères. Mostafa Brahami est un poids lourd de la mouvance islamiste algérienne. Lui-même raconte dans un témoignage (à lire ici) qu’il est membre fondateur de la «Jama’a Islamiya» en Algérie, qu’il fut «député du FIS [Front Islamique du Salut] en 1991»[11]. Le même FIS qui a précipité l’Algérie dans la triste Décennie noire, de 1991 à 2002, causant la mort de plus de 150 mille personnes. Il dit avoir été très proche du leader du FIS, Abbassi Madani[12], mort au Qatar en 2019, qui fut chef de l’AIS[13] (Armée islamique du salut).

Par ailleurs, afin de vulgariser en français les rudiments de l’orthodoxie frérosalafiste et sa charia – même si Brahami refuse d’assumer tout lien organique avec le mouvement des Frères musulmans – il a traduit et publié plusieurs ouvrages touchant à la fois au culte, à la pratique, à la morale et aux règles du droit islamique. En France, il a pu compter sur le réseau des éditions du centre Tawhid qu’avait fondé en 1990 l’association frériste UJM[14] (Union des jeunes musulmans à Lyon). Depuis sa naissance, UJM et son président Yamin Makri ont travaillé main dans la main avec un certain… Tariq Ramadan[15]. Et ce n’est qu’en 2019, après l’éclatement des affaires Ramadan, relatives aux accusations de viol par plusieurs femmes, que l’UJM, le centre Tawhid de Lyon, sa filiale à Saint-Denis, son institut Shâtibi[16], et Yamin Makri[17] ont pris, en apparence, leur distance[18] avec le petit-fils d’Hassan al-Banna.


C’est au sein de ce plasma frérosalafiste que baigne Mostafa Suhayl Brahami qui poursuit son prosélytisme au sein des activités organisées par les cercles fréristes comme ici, ici, ici et ici. Une simple visite de son profil sur Twitter (@MostafaBrahami) suffit pour cerner les questions et les causes qui continuent à l’animer : la promotion de la charia, la haine d’Israël et des Juifs, la haine des homosexuels… Les élèves du lycée Averroès sont appelés à apprendre et approcher les hadiths de Mahomet traduit par cet extrémiste notoire.

Pis, la compréhension des sens de ces hadiths, à en croire le programme d’«éthique musulmane» de cet établissement, se fait «à travers le commentaire d’al-Wâfî». Il s’agit d’un ouvrage arabe coécrit par un binôme syrien : Mustafa al-Bugha et Muhyî ad-Dîn Mistû. Il n’est pas nécessaire à ce stade d’alourdir davantage cette note, par l’analyse des parcours et des écrits de ces deux prédicateurs. Toutefois, je mentionnerai que Mustafa al-Bugha est un salafiste traditionaliste connu en Syrie, au Qatar et partout dans le monde arabe de par ses écrits et publications.

Mustafa al-Bugha a défrayé la chronique en 2014 quand sa fille, Iman, a quitté son poste de professeur du droit islamique à l’université Dammam en Arabie Saoudite, pour rejoindre les rangs djihadistes du groupe Etat Islamique à Mossoul en Iraq, en passant par al-Raqqa. Iman Mustafa al-Bugha est devenue la juriste en chef de Daesh, «l’intellectuelle» de l’autoproclamé califat d’Abou Bakr al-Baghdadi, à la tête d’une brigade féminine nommée Al-Khansaa, encourageant son fils, Abu al-Hassan al-Dimashqi, à porter les armes, à faire le jihad armé[19] jusqu’à sa mort à l’âge de 13 ans, seulement.


Dans une étude réalisée par le chercheur Mohammad Abu Rumman[20], de l’Université de Jordanie, portant sur l’analyse des raisons qui auraient poussé Iman Mustafa al-Bugha à rejoindre Daesh, son père est décrit comme étant «connu pour son fanatisme religieux et son fondamentalisme. Ses étudiants notent qu’il tenait à séparer les garçons des filles pendant ses cours.»[21] La radicalisation islamiste et jihadiste de sa fille Imam tiendrait aussi au fait qu’elle ait «grandi dans une famille et un environnement religieusement conservateur, Iman al-Bugha a hérité du zèle religieux de son père et a reçu ses études en sciences islamiques des mains de son père et d’un certain nombre d’autres érudits éminents à Damas…»[22] Ainsi, les élèves du lycée Averroès à Lille-Sud approchent le sens des hadiths de Mahomet à travers ce même canal extrémiste qui a fait ses preuves en Syrie.

Au-delà de ces faits incontestables, que lit-on dans l’ouvrage al-Wâfî, commentaire des 40 hadiths de l’imam An-Nawawi, traduit en français et publié par les Editions Maison d’Ennour[23] qui vulgarise la pensée des Frères musulmans en France et compte parmi ses collaborateurs des frérosalafistes comme Hani Ramadan, Moncef Zenati et Soufiane Meziani[24], entre autres ? Depuis l’introduction, le ton est donné puisque son rédacteur l’éditeur Abderrazak Mahri prend toutes les précautions langagières d’usage chez les islamistes pour soi-disant «contextualiser» le jihad armé et les sanctions pénales issues de la charia islamique. A aucun moment il ne les met en question. A aucun moment il ne les rejette définitivement, clairement, sans équivoque et sans réserve. Simplement, il tente une diversion devenue systématique dans ces milieux : ce n’est pas la charia qui serait criminelle mais ce sont les comportements d’une «minorité de musulmans»[25] qui n’aurait pas compris qu’il faille laisser à «l’autorité musulmane»[26] le soin d’appliquer les règles de cette charia : lapidation, exécution des apostats, tranchement de la main du voleur, flagellation en public des alcooliques... Au sujet du «jihad armé», le traducteur précise que «la déclaration du jihâd appartient aux imams (gouverneurs) des musulmans, et les individus ne sont nullement autorisés à agir «dans ce domaine sans consulter ou demander l’autorisation de l’imam»»[27]. Quel soulagement ! On est vraiment rassuré...

Au demeurant, c’est bien ce cadre référentiel qui sert d’appui aux dirigeants du collège-lycée Averroès, pour apprendre aux élèves les rudiments du récit de la foi mahométane et de la pratique cultuelle qui l’exprime. D’ailleurs, dès la classe de 6ème, les élèves apprennent que «la prière est le pilier le plus important après l’attestation de foi», comme l’écrivent les rédacteurs du programme. Dans un cadre familial, Mahomet ordonne aux parents de frapper leurs enfants s’ils ne font pas la prière à l’âge de dix ans. L’âge moyen d’un élève de 6ème est entre 10 et 11 ans. «Ordonnez la prière à vos enfants lorsqu'ils ont 7 ans et frappez-les pour elle à 10 ans et séparez-les dans les lits»[28], hadith attribué à Mahomet. Certainement, au collège-lycée Averroès, on ne frappe pas les élèves mais tout est fait pour montrer l’importance de la prière, la salât islamique. Et c’est le commentaire d’al-Wâfî qui vient au secours des professeurs d’ «éthique musulmane» pour imposer la prière par la violence, par la terreur.

Le 8ème hadith d’An-Nawawî rapporte que Mahomet a dit : «J’ai reçu l’ordre de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils attestent qu’il n’y a de dieu que Dieu et que Muhammad est le Messager de Dieu, puis qu’ils fassent correctement la prière et s’acquittent de la zakât (impôt social purificateur). S’ils ont fait tout cela, ils n’auront à craindre de moi ni pour leurs vies ni pour leurs biens, sauf pour ce qui en revient de droit à l’Islam. Et c’est à Dieu qu’ils auront à rendre des comptes.»[29] Le 14ème hadith du même recueil rapporte que Mahomet a dit : «Il n’est permis de verser légalement le sang d’un musulman que dans trois cas : celui de l’homme marié qui commet l’adultère, celui de l’assassin qui, légalement mérite la mort, et celui de l’homme qui renie sa religion et se sépare de la communauté.»[30] En commentaire, les auteurs d’al-Wâfî écrivent : «Les savants s’accordent à l’unanimité pour dire que le musulman qui ne fait pas la prière tout en reniant son caractère obligatoire cesse d’être musulman et est considéré comme apostat. Il s’ensuit qu’il doit être exécuté conformément à la peine légale prévue pour l’apostasie. D’autre part, les avis divergent quand la personne reconnaît le caractère obligatoire de la prière, mais renonce à la pratiquer par paresse. La majorité déclare que ce non pratiquant doit se repentir.»[31] Quelques lignes avant, al-Wâfî de Mustafa al-Bugha rappelle cet autre hadith attribué à Mahomet : «Tuez celui qui renie sa religion !»[32] La liberté de conscience certainement n’est pas au menu.

En classe de 5ème, les élèves, filles et garçons, âgés de 11 à 12 ans, commencent peut-être à constater des transformations physiologiques et des modifications morphologiques de leurs corps. C’est la puberté, l’âge d’entrée dans l’adolescence. En islam, c’est l’âge aussi où la pratique cultuelle devient obligatoire. On l’a vu pour la prière. C’est aussi l’âge où les enfants sont appelés à jeûner le mois du Ramadan par exemple. Le programme du collège-lycée Averroès prévoit des séquences à ce sujet. Mais que dit al-Wâfî de celui ou de celle qui ne jeûne pas le mois du Ramadan ? En commentaire du 22ème hadith attribué à Mahomet décrivant «la voie du paradis»[33], ses auteurs syriens rappellent «la règle concernant celui qui renonce à jeûner», je cite : «Il y a unanimité à déclarer impie et apostat toute personne qui renonce au jeûne du Ramadan parce qu’elle en nie le caractère obligatoire confirmé par des arguments établis. Quant à celui qui y renonce par négligence et sans motif légal plausible, il est considéré comme dévergondé (fasîq) par l’unanimité des musulmans. Et il est possible d’avoir des doutes quant à la sincérité de son islam et de le soupçonner d’athéisme et d’apostasie. Il se peut aussi que sa négligence le conduise à l’impiété.»[34] (sic).

En citant ces exemples tirés du référentiel éducatif de cet établissement islamiste scolaire privé, sous contrat d’association avec l’Etat français, on ne peut être que scandalisé face à un contenu révoltant qui viole la liberté de conscience, la mère des libertés qui, rappelons-le, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République[35] et rattachée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.»[36] Comment l’Etat garantit-il le respect de ce principe auprès des élèves de cet établissement quand ses dirigeants affichent un référentiel traditionaliste qui impose la pratique cultuelle à coup de hadiths, de menaces et d’excommunication ? Le jeune élève n’a pas le droit de choisir de pratiquer ou de ne pas pratiquer. Il est réduit à un sujet contraint de consentir à une pratique cultuelle imposée et non proposée. Le jeune élève, soumis au contrôle social d’une communauté islamique organisée est ainsi entraîné malgré lui, et sans exagération, sans caricature, dans un dilemme : prier ou mourir.

Le livre d’al-Wâfî ne s’intéresse pas uniquement aux actes cultuels. Loin s’en faut. Il prône clairement une vision islamiste globale, intégrale et intégriste du monde et de la société. Il formule des avis religieux islamique sur tout. Des avis qui sont plutôt des consignes. Des instructions. Des avertissements. Des lois. Des diktats. Tout y passe : le dogme radical de «l’alliance et le désaveu», Al-Walaa' wal-Baraa' ; la loi d’Allah ; la création ; la science ; la femme ; l’avortement ; les soins médicaux ; le jihad armé ; la hisbah, ce devoir «d’ordonner le bien et d’interdire le mal» ; les sanctions pénales… Si les 42 hadiths de Mahomet tiennent en 42 pages au maximum, parmi lesquels on trouve des aberrations et des monstruosités insoutenables, plus de 350 pages de commentaires, traduits des Syriens Mustafa al-Bugha et Muhyî ad-Dîn Mistû, étoffent le contenu idéologique servi à des élèves sans recul et sans bagage intellectuel qui permettent le discernement et la distanciation critique. L’endoctrinement juvénile précoce au collège-lycée Averroès passe crème comme une lettre à la poste. Des familles et l’Etat payent pour ça. C’est un comble !

A titre d’exemples, ci-après un florilège non exhaustif illustrant mon propos. En effet, en commentant le 36ème hadith d’An-Nawawi, les auteurs syriens ont fait un focus sur un pilier fondamental de l’idéologie islamiste et séparatiste : le dogme radical de «l’alliance et du désaveu», Al-Walaa' wal-Baraa' en arabe. Ils disent : «L'alliance se fonde sur la foi et les œuvres et non sur le sang et la lignée : les gens avaient pour habitude de se prêter assistance mutuelle et de se soutenir suivant l'ethnie et la parenté généalogique. Lorsque vint l'islam, il coupa tous les liens entre les hommes, hormis celui de la foi, et annula toute alliance ne prenant pas source dans la religion et les œuvres, et tout soutient sauf celui de la foi et des principes»[37]. Ils rajoutent : «Le musulman n’accepte aucune alliance en dehors de celle de Dieu, de Son Envoyé et des croyants. Il renonce à toute autre alliance qui ne l’élève pas à ce niveau, et coupe tout lien avec la mécréance et les partisans de la perversité.»[38] On peut craindre que l’islamité ait déjà dominé la francité dans l’esprit de ces collégiens et lycéens. Qu’y reste-t-il de la Fraternité, ce troisième terme, ce troisième principe de la devise de la République française ? Si demain elles et ils s’engagent dans les Armées françaises, on peut douter de leur loyauté envers la France si un conflit l’oppose à un pays musulman…

Alors que l’embryogenèse et l’organogenèse sont censées être enseignées en cours de Sciences et Vie de la Terre, au sein de cet établissement, voilà qu’al-Wâfî et ses commentaires viennent troubler le savoir empirique par le 4ème hadith d’An-Nawawi qui concerne «les phases de la conception de l’homme et les derniers moments de sa vie»[39]. On attribue à Mahomet d’avoir dit : «La conception de chacun de vous dans le sein maternel se fait en quarante jours sous la forme d’une semence, puis sous celle d’un plasma sanguin pour une même période [40 jours, ndlr], puis sous celle d’un morceau de chair pour une période semblable [40 jours, ndlr]. Enfin [au bout de 120 jours, ndlr] un ange lui est envoyé ; il lui insuffle l’esprit vital…»[40]

Sous le paragraphe 3, «l’interdiction de l’avortement»[41], les commentateurs syriens rappellent que «tous les savants sont d’accord pour déclarer que l’avortement est interdit une fois que l’esprit vital a été insufflé dans l’embryon, car c’est un crime perpétré contre un être vivant dont la création est achevée. Le prix du sang (diyya) est exigé lorsque l’embryon avorté meurt à sa sortie du sein maternel, et une amende moins importante, s’il meurt avant.»[42] On ignore si les élèves du collège-lycée Averroès sont au fait de la loi Simone Veil du 17 janvier 1975, relative à l’IVG (Interruption volontaire de grossesse). Sont-ils au courant de l’histoire de Marie-Claire Chevalier, cette lycéenne de 17 ans qui fut poursuivie devant les tribunaux de la République pour avoir avorté à la suite d’un viol en 1972 ? Défendue par l’avocate Gisèle Halimi, elle a été acquittée par le Tribunal de Bobigny. Peut-on espérer qu’un jour les élèves de cet établissement puissent étudier, lors de la séance d’«éthique musulmane», le célèbre «Manifeste des 343 salopes»[43], paru